Interview avec Mario Gattiker, secrétaire d’État aux migrations, 11 avril 2018: Le Temps; Boris Busslinger et Bernard Wuthrich.
Le Temps: "En tête des demandes d’asile en Suisse en 2017, les ressortissants érythréens étaient jusqu’alors protégés dans leur ensemble d’un renvoi dans leur pays. Cela devrait désormais changer, comme l’explique Mario Gattiker, secrétaire d’Etat aux migrations."
Le renvoi d’Erythréens dans leur patrie d’origine est licite et exigible, a statué le Tribunal administratif fédéral (TAF) dans un arrêt d’août 2017. A deux conditions: il faut que l’individu ait déjà effectué son service obligatoire avant de quitter l’Erythrée ou qu’il dispose du statut de «membre de la diaspora» défini par Asmara. Sur la base de cette décision, le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) considère que 3200 ressortissants de ce pays sont désormais éligibles à un «retour volontaire». Environ 200 d’entre eux ont déjà été contactés. Ils disposent d’un mois pour avancer des raisons qui pourraient s’opposer à leur retour. Le Temps a rencontré Mario Gattiker, secrétaire d’Etat aux migrations, pour en parler.
La situation a-t-elle évolué en Erythrée pour qu’on puisse envisager le retour de certains de ses ressortissants?
La Suisse offre une protection uniquement à ceux qui en ont besoin. En ce qui concerne l’Erythrée, le SEM a constaté que le pays ne connaissait pas une situation de violence généralisée et qu’y retourner n’était pas dans tous les cas inexigible. Les opposants politiques ne seront par ailleurs pas touchés par cette mesure. Le TAF soutient en outre notre position et a également estimé qu’un individu qui a déjà servi ou qui ne peut pas être recruté ne se trouve pas en danger concret de persécution. J’ajoute que nous évaluons constamment la situation du pays, ce pour quoi nous sommes actuellement à la pointe en Europe.
Comment peut-on être sûr que les personnes renvoyées ne seront pas exposées à des actes de répression? Le CICR ne dispose lui-même que d’un accès limité aux prisons du pays.
Il n’existe pas de garantie incontestable. Nous arrivons cependant à la conclusion que, pour certaines catégories de personnes, il n’existe pas de risque concret. Cette décision se base sur des témoignages de diasporas érythréennes à l’étranger, notamment en Ethiopie et au Soudan, sur des rapports d’ambassades, d’organisations internationales et non gouvernementales, ainsi que sur des missions organisées sur place ou encore des sources provenant de l’opposition au régime.
Il n’existe pas d’accord de réadmission avec l’Erythrée. Comment être sûr que le pays acceptera bien de reprendre ses ressortissants?
Parmi les pays d’origine des personnes qui demandent l’asile chez nous, seul un pays sur deux a un accord de réadmission avec la Suisse. L’absence d’un tel traité ne signifie pas pour autant que des renvois sont impossibles. La Côte d’Ivoire accueille par exemple des vols spéciaux sans aucune convention de ce type. En ce qui concerne l’Erythrée, le pays n’accepte certes pas de renvois forcés mais des retours volontaires sont possibles. Je précise que si la personne éligible à un retour volontaire ne s’en va pas, elle prend le risque de tomber dans l’aide d’urgence.
C’est là le bras de levier dont dispose la Suisse pour convaincre des «volontaires»?
Je ne vois pas ça comme un bras de levier, mais comme l’application de la loi. Il existe 9400 Erythréens admis provisoirement en Suisse. Certains ont obtenu ce statut alors qu’ils ne souffraient d’aucune persécution, mais que des circonstances particulières, comme une maladie, le justifiaient à ce moment-là. Leur statut n’est pas protégé par la Convention européenne des droits de l’homme ou par les Conventions de Genève mais par la loi sur l’asile, que nous appliquons. Nous avons par ailleurs pour obligation de revoir le statut des personnes admises de manière provisoire à intervalles réguliers. Cela non seulement pour les Erythréens mais également pour toutes les autres communautés étrangères présentes sur le territoire suisse.
A combien se monte l’aide au départ fournie par la Confédération?
La pratique en vigueur est d’allouer 1000 francs par individu. Dans des situations particulières, cette somme peut être augmentée jusqu’à 4000 francs.
En ce qui concerne l’Ethiopie maintenant, où en sont les négociations concernant un accord migratoire?
L’Ethiopie était un pays difficile en ce qui concerne le retour de ses ressortissants. L’Union européenne (UE) est toutefois parvenue à un accord avec Addis-Abeba pour les renvois, volontaires ou non. Comme la Suisse est dans l’espace Schengen, nous reprenons les accords conclus par l’UE dans le domaine de la migration. J’ajoute qu’il est absolument nécessaire de procéder au renvoi de personnes qui n’ont pas besoin de notre protection afin d’éviter d’inciter des personnes à venir en Suisse pour profiter d’une aide sans motifs valables. Cet accord crédibilise la politique migratoire suisse et européenne et permet d’apporter la protection nécessaire aux personnes qui en ont besoin.
La Suisse sera appelée à collaborer avec les services secrets éthiopiens, régulièrement dénoncés pour des violations des droits de l’homme par des organisations comme Amnesty International. Est-ce cohérent de travailler avec un tel partenaire?
Notre partenaire est l’autorité éthiopienne des migrations. Dans les décisions de renvoi, la situation des droits de l’homme dans le pays d’origine représente par ailleurs toujours un facteur important. Les décisions doivent toutefois être prises sur la base d’une évaluation individuelle des risques encourus par chaque personne concernée.
Dernière modification 11.04.2018